Weeds Stories #3 - Fréderique Soulard - HERBES FOLLES

Histoires de mauvaises herbes #3 - Fréderique Soulard

"Donner un nom aux choses les fait exister", dit Fréderique Soulard. C'est elle qui est à l'origine de Belles de Bitume : un projet d'art de rue beau et poétique qui fait des mauvaises herbes (et de leurs différentes histoires) l'un des personnages majeurs de nos environnements urbains.  

Peux-tu me parler un peu de ton histoire ?

Après avoir vécu en Ardèche pendant longtemps, je suis revenu dans ma ville natale - Nantes. Je me suis sentie intriguée et inspirée par le pouvoir de la nature qui se faufile entre le béton.

L'idée de labelliser les plantes de rue m'est venue il y a 10 ans. C'est désormais un projet culturel, qui s'est affiné au fil des rencontres et des réécritures, pour devenir une déambulation participative et guidée.

En 2014 à Nantes, j'ai commencé ces graffitis botaniques sous le nom de " Belles de Bitume ", pour adoucir et égayer notre vie urbaine, et ouvrir nos regards de piétons pressés.

A la croisée des plantes, des hommes et du lien entre tous, cette démarche s'articule autour de certains points forts : lors de déambulations dans la ville, entre science, histoires, imagination, leçons de botanique et même tisanes, le public est invité à écrire le nom des plantes sur le sol.

L'histoire du nom "Belles de Bitume" est en soi un parcours : il y a quelques années, je me promenais dans les rues avec une charrette nommée "BELLE" (Boite Écriture Lectures Légendes en Excursion) pour échanger des mots avec les gens de passage.
La "BELLE" s'est alors spécialisée dans les plantes "sauvages", celles qui habillent les rues et conduisent le public dans une déambulation poétique et improbable.
En 2014, les photos publiées sur la page FB de Luc Douillard (professeur d'histoire et militant) ont fait le buzz. La presse nationale et internationale a adoré l'idée, et j'ai été heureux de répondre aux journalistes.
Parfois, cette idée a été reprise par d'autres et tentée sous la forme d'un simple inventaire.

Ce qui m'intéresse, outre un inventaire botanique (et pédagogique, disent certains), c'est qu'entre art de rue et poésie, nous ouvrons les yeux et baptisons les plantes de leurs noms populaires, communs, drôles et graphiques.
"Belles de Bitume" est comme les plantes, elles n'ont pas de frontières.
"Belles de Bitume" tisse des liens sociaux, en incluant chaque être dans la ville.

Chaque nom inscrit sur le sol, donne à chacun, jour après jour, la conscience d'appartenir au monde qui l'entoure, et permet la rencontre avec les autres et leur culture via le nom des plantes. C'est ce dont nous avons tous besoin en ce moment : l'ouverture au monde vivant et aux autres. A tous les autres !
Belles de Bitume c'est une trace blanche sur le sol qui reste le temps de la vie de la plante. Elle touche et intrigue des centaines, voire des milliers de personnes. C'est de l'art urbain et c'est beau !

Comment définissez-vous la relation que vous tissez avec les plantes ? Comment tout cela a-t-il commencé ?

Petite fille d'un herboriste avec lequel j'ai travaillé pendant dix ans, je me suis familiarisée avec "les simples" (expression française utilisée pour nommer les plantes spontanées). Fille d'un professeur de français, je suis devenue conteuse et créatrice d'ateliers d'écriture.

Ma rencontre avec les plantes se situe entre ces deux lignées. J'aime les plantes pour leur beauté (je fais de la macrophotographie, j'ai la sensation de changer d'univers en allant dans les détails - de l'art). J'aime identifier les plantes. Que ce soit à la campagne ou en milieu urbain, cela illumine mon chemin de leur donner un nom, de les connaître et de les reconnaître. J'aime les plantes parce qu'elles sont la vie elle-même, elles me nourrissent et me soignent.

Qu'est-ce qu'une mauvaise herbe pour vous ?

Je dis aussi "mauvaises herbes" car nous répétons ce que nous avons appris. Nous sommes conditionnés à utiliser ces mots sans comprendre le sens qui leur est associé. Lorsque nous le faisons, nous changeons de vocabulaire, d'expressions et d'opinions, mais nous avons besoin de temps pour retrouver notre liberté de choix, de vue et de mots.
J'ai arrêté de dire "mauvais", je ne juge plus. Je dis plutôt "les petits sauvages", je les appelle "mauvaises herbes" ou "les simples" quand elles sont médicinales, parfois je dis "herbes folles" avec tendresse, je dis des choses que j'ai CHOISI de dire.

Laquelle est votre préférée, et pourquoi ?

Ils sont tous mes préférés ! D'une part elles sont toutes belles, d'autre part, parce que leurs noms populaires sont la source d'un honnête émerveillement en moi. Celui qui répond au nom de "potamot flottant" m'a donné l'envie d'imiter les plantes ; je ne cesse de m'interroger sur les innombrables noms français (et aussi dans d'autres langues) du "pissenlit" ; quand j'entends parler du "marin errant", je suis curieux du sens caché de ces noms populaires ; grâce au chardon marie et à ses formes et couleurs changeantes, je peux mieux observer la beauté secrète de ces "mauvaises herbes", laides en apparence. Je suis étonné par le fait que la laitue sauvage était autrefois utilisée comme "morphine" !

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